Un croque-mort raconte des anecdotes... assez invraisemblables!© Flickr (Illustration)
Dans sa vie, Guillaume Bailly a vu défiler des centaines de morts. Le croque-mort raconte, dans "Mes sincères condoléances 2", des scènes loufoques qui sont restées dans sa mémoire.
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Et sinon, ça va ?

Les obsèques venaient de se finir, et déjà la famille se dirigeait vers le salon de thé où chacun deviserait de la vie qui continue.

Le fils de la défunte attendait le maître de cérémonie qui devait lui remettre les documents administratifs.

Une dame âgée s’était approchée de l’endeuillé et lui faisait la bise. Le maître de cérémonie patientait respectueusement derrière elle, et ne manqua pas une miette de l’échange.

— Quel bel enterrement ! Tu viens au café, après ? s’enquérait la mamie.

— Oui, tante Berthe, je vois une chose avec le monsieur des pompes funèbres, et j’arrive, répondit le fils de la défunte.

— Très bien ! Mais au fait, comment va ta maman ? Je ne l’ai pas vue, aujourd’hui.

Chéri ? Chéri ?

Chéri ? Chéri ?© abacapress

Les croque-morts étaient dans la chambre, en train de préparer le matériel, pour emmener le défunt à la maison funéraire.

Le pauvre homme, atteint d’une grave maladie, faisait partie de ceux dont la mort soulage l’entourage. Il y a pire que de perdre un être cher, c’est de le voir souffrir, atrocement, et sans espoir.

La veuve s’affairait dans la chambre. Les croque-morts lui avaient demandé de préparer quelques affaires, afin de l’habiller, après les soins de conservation, pour qu’il repose dans un salon où il recevrait des visites.

Elle se dirigea vers le placard, en quête de la dernière pièce d’habillement, l’ouvrit, en contempla le contenu longuement, puis, machinalement, sans se retourner, lança :

— Chéri ? Pour ton enterrement, tu veux ta chemise blanche, ou la bleue ? Chéri ? Chéri ?

Elle se figea soudain, se retourna lentement, contempla un instant son défunt époux, puis revint vers le placard, ou elle opta pour la bleue. Elle la plia, expliquant :

— Excuse-moi, chéri. Il faudra juste que je m’habitue.

Chagrin

Chagrin© abacapress

— Maman est morte de chagrin, explique le fils de la défunte.

— Ah ?, interroge le croque-mort.

Juste "Ah  ?" suffit pour pousser, sans paraître indiscret, quelqu’un à se confier.

— Oui, elle l’a dit et redit : "Je meurs de chagrin de la mort de ton père."

— Effectivement, il y a des deuils dont on a du mal à se remettre.

— Ou des tendances à exagérer, chez certains, marmonne le fils. Parce que son agonie a duré cinquante-sept ans et deux "remariages", quand même.

Le dernier aurevoir

Le dernier aurevoir© abacapress

À la porte du cimetière, alors que le corbillard s’était garé dans une allée pour attendre la famille qui arrivait en ordre dispersé depuis l’église, le maître de cérémonie eut la surprise de voir sortir une ambulance, suivie par un confrère dans son véhicule de service. Ce dernier s’arrêta pour saluer l’équipe. Le maître de cérémonie entrant ne put refréner sa curiosité.

— C’était quoi, cette ambulance ?

— Le veuf de la dame que je viens d’enterrer.

— Ah ? Il s’est évanoui ?

— Non, rétorqua l’autre, d’humeur morose. Après l’inhumation, il a voulu jeter une rose dans la tombe, sur le cercueil. Mais il semblerait que personne ne lui ait signalé qu’il fallait la lâcher après l’avoir lancée…

La blague

La blague© abacapress

Le fils du défunt glissa une enveloppe dans le cercueil de son père, juste avant la fermeture. Puis, se reculant, pour ne pas gêner les porteurs, il vint se placer juste à côté du maître de cérémonie.

— Une vieille dette, soupira-t-il.

— Ah ? dit le maître de cérémonie.

C’est formidable, le pouvoir de ce mot. "Ah", suivi d’un point d’interrogation, peut se traduire par "Vous mourez d’envie de me raconter votre histoire, et je crève d’envie de l’entendre. Mais je vais juste signaler poliment que je vous écoute, sans donner de signe d’encouragement qui pourrait être perçu comme une curiosité malsaine…" Ah ? Formidable, vous dis-je.

— Papa m’avait prêté de l’argent, je le lui ai remboursé. Vous souriez.

—  Pardon, oui. Une blague que j’avais entendue. Ça m’y a fait penser. C’est déplacé, je vous prie de bien vouloir m’excuser.

— Oh, non ! Je la connais. En fait, c’est là que j’ai eu l’idée. Vous comprenez, c’est surtout le symbole.

— Donc, dans l’enveloppe que vous avez glissée dans son cercueil…

— Je lui ai fait un chèque, oui. Même pas en bois !

Charité chétienne

Charité chétienne© abacapress

Dans la salle de présentation des cercueils.

— Vous souhaitiez un crucifix, sur le couvercle, Madame. Je vais vous montrer ce que nous avons, dit l’assistant en désignant la vitrine d’un geste. Puis il s’enquiert :

— Vous le souhaitez avec ou sans Christ ?

— Comment ça ? interroge la femme.

—  Eh bien, vous en avez des simples, comme celui-ci, avec juste la croix, et d’autres, avec le Christ représenté dessus explique l’assistant.

—  Oh, non, sans ! Pauvre Jésus, il a déjà bien assez souffert comme cela.

Communion

Communion© abacapress

La défunte venait d’une maison de retraite catholique bien connue dans le secteur. Le thanatopracteur réalisait son soin tout en discutant avec le conseiller funéraire venu faire sa pause-café dans la salle de soins.

— Tiens, dit soudain le thanatopracteur, au moins, elle aura recommandé son âme à Dieu avant de partir.

—  Comment tu le sais ? demanda le conseiller.

— Elle n’a même pas eu le temps d’avaler l’hostie, commenta sobrement le thanatopracteur, désignant sa bouche.

Générosité

Générosité© abacapress

Une heure dans le bureau, c’est long, surtout pour régler les obsèques du père et de l’époux, respectivement, de ces deux dames qui visiblement ne s’entendent pas. La fille suggère de demander, plutôt que des fleurs, des dons à une association.

— Pourquoi ? demande la mère.

—  Ça aurait fait plaisir à papa, il avait tellement bon cœur.

—  Son cœur n’était pas si bon, je te rappelle que c’est pour ça qu’on est là

Médaille de la sécurité routière (à titre posthume)

Médaille de la sécurité routière (à titre posthume)© abacapress

Le gendarme était impressionné en racontant au croque-mort les circonstances du décès de leur client.

— Le monsieur a fait un malaise cardiaque au volant.

— Ah ? C’est moche, alors ?

—  Pas du tout, répondit le militaire. D’après le médecin et les témoins, le monsieur a dû se sentir mal, il a ralenti, mis son clignotant, s’est arrêté sur une place de stationnement non gênant, il a mis le frein à main, coupé le moteur, mis les warnings, il a posé le menton sur sa poitrine et il est mort.

Les vacances du croque-mort

Les vacances du croque-mort© abacapress

Sur la route des vacances

— Maman, c’est quand qu’on arrive ?

— Bientôt, les enfants

— C’est quand bientôt ?

— C’est dans pas longtemps, les enfants.

— Papa, c’est quand qu’on arrive ?

— Bientôt. Tiens, et si on jouait à un jeu ?

— Excellente idée ! dit la maman. Tiens, essayez de compter les voitures bleues.

— J’ai une meilleure idée ! dit le papa. Vous comptez les corbillards, et vous essayez de deviner s’il y a un mort dedans, d’accord ?

Les enfants — Ouaiiiiis !

La maman — (soupir).

Les vacances du croque-mort

Les vacances du croque-mort© abacapress

Randonnée

L’épouse du croque-mort :

— On va faire une randonnée, aujourd’hui ?

Son mari :

— Oh oui, excellente idée ! On va prendre le sentier bleu !

L’épouse du croque-mort, surprise, mais ravie :

— Eh bien, d’accord ! Franchement, je ne pensais pas que la randonnée t’intéresserait.

Son mari :

— Oh que si ! En plus, sur la route, il y a une chouette église romane, entourée d’un cimetière qui a l’air tout à fait charmant !

L’épouse du croque-mort :

— (soupir).

Les vacances du croque-mort

Les vacances du croque-mort© abacapress

A la pétanque

Le premier joueur :

— Alors, toi, cette année ?

Le deuxième joueur :

 — Ben, écoute, super, j’ai dépassé mon objectif, du coup, je pense que le poste de chef des ventes est pour moi l’an prochain, parce que l’actuel ne gère rien du tout, si j’étais pas là… Et toi ?

Le premier joueur :

— Eh bien, j’ai sauvé ma société d’une attaque massive d’un virus. Du coup, j’ai démissionné juste après pour monter ma boîte de consultants. Franchement, j’ai sauvé la mise à plus d’un rigolo qui se prétend expert en sécurité informatique.

Les deux se retournent vers le troisième joueur, croque-mort en vacances :

 — Et toi ?

Le troisième joueur :

— Moi, j’en ai fait trente-sept.

Les deux autres :

— Trente-sept défunts ? C’est beaucoup ça, ou pas ?

Le croque-mort, qui a repris le dessus sur le troisième joueur :

 — Oh, non, des défunts, cette année, j’en ai traité deux cent quatre-vingt-sept. Mais il y en avait trente-sept, parmi eux, qui étaient exactement comme vous, des types dans la force de l’âge, qui ont succombé à un cancer ou à une crise cardiaque persuadés d’être indispensables et que le monde allait s’effondrer après leur mort. La plupart ont poussé leur dernier souffle sans même savoir qu’ils avaient déjà été remplacés.

(Froid glacial malgré le chaud soleil)

Madame Chombier :

— C’est l’heure de l’apéro !

Les vacances du croque-mort

Les vacances du croque-mort© abacapress

Les prochaines

Le voisin de camping :

— Alors, votre épouse veut aller à la montagne, l’an prochain ?

Le croque-mort :

— Oui. Entre les noyades, les infarctus pour cause d’hydrocution, les noix de cajou, ma femme trouve que je me laisse trop distraire de nos vacances. Du coup, on va à la montagne.

Le voisin de camping :

— Oh, ben, ce sera pas beaucoup mieux.

Le croque-mort :

— Pourquoi ?

Le voisin de camping :

— La montagne, c’est plein d’amateurs de sports extrêmes, d’alpinisme, de deltaplane, ce genre de trucs. Et quand ils se viandent, ils ne se loupent pas.

Le croque-mort, souriant largement :

— Vraiment ? Rhalala, vivement les prochaines vacances. Dites, rendez-moi un service…

Le voisin de camping :

— Avec plaisir ! J’ai compris : pas un mot à votre femme…

Le croque-mort (le sourire s’agrandit) :

— Merci !

Guillaume Bailly, "Mes sincères condoléances 2" (éditions de l'Opportun)

 Guillaume Bailly, "Mes sincères condoléances 2" (éditions de l'Opportun)© abacapress