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Un rapport parlementaire rendu public mardi propose de pénaliser les clients faisant appel à des prostituées, tout en abrogeant le racolage passif. Karen, une prostituée membre du seul syndicat français du travail sexuel (Strass), craint que cette mesure dégrade encore un peu plus ses conditions de travail.

© abacapressPlanet : Maud Olivier, la députée PS qui a présenté le rapport parlementaire, estime que ‘les prostituées sont des victimes’ et qu’on ‘ne doit pas les traiter comme  des délinquantes’. Etes-vous d’accord avec elle ?Karen : "Absolument pas ! Que sait Maud Olivier de notre métier, a-t-elle seulement une fois rencontré une prostituée ?  Nous ne sommes ni des victimes ni des aliénées. Il y a deux sortes de prostituées : celles qui subissent et celle qui ont voulu et choisi leur situation. Je fais partie de la deuxième catégorie. Cela fait même vingt ans que j’exerce ce métier et si demain on me proposait un emploi de secrétaire je le refuserai. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, sous prétexte de ne pas nous aimer ou de rejeter ce que nous sommes, on cherche à nous éradiquer. Que sait cette femme de ce dont nous avons réellement besoin et de ce qu’il faudrait faire ?

Planet : Justement, selon vous que faudrait-il faire pour améliorer la situation des prostituées ?Karen : Au lieu de s’attaquer aux prostituées comme moi, le gouvernement ferait bien de lutter contre les réseaux étrangers qui nous inondent. En provenance notamment d’Afrique et d’Europe de l’Est, ceux-ci font venir des filles très jeunes qui prennent jusqu’à trois fois moins cher que nous. En plus de nous faire perdre des clients ou revoir nos prix à la baisse, ces réseaux font ensuite partir l’argent qu'ils ont gagné dans leur pays. Ils ne font pas vivre le pays, alors que nous oui.  Le gouvernement devrait également se montrer plus tolérant avec nous et prendre la peine de nous écouter. Il faut aussi qu’il comprenne une bonne fois pour toute que pénaliser la prostitution ne fera pas disparaître les prostituées.

Planet : Si le délit de recours à la prostitution venait à être crée, quelles conséquences pourrait-il avoir ?Karen : Cela aurait plusieurs effets négatifs à commencer par la dégradation des conditions de travail des prostituées. Celles-ci devraient ainsi se cacher, les clients peineraient à les trouver et puis surtout, leur sécurité serait encore moins assurée. Les prostituées auraient par ailleurs moins, voire plus du tout, accès aux associations qui leur viennent en aide et faute de clients, devraient baisser leurs tarifs au risque de sombrer dans la misère. 

Planet : La Suisse a récemment installé des drive-in du sexe à Zurich. Qu’en pensez-vous ?Karen : Ils ont tout compris là-bas ! Cela fait maintenant deux mois que je suis partie travailler dans ce pays et je constate qu’ils sont beaucoup plus tolérants qu’en France envers les prostituées. Lorsque vous décidez de vous prostituer en Suisse, vous devez commencer par vous inscrire à la police des mœurs. Du coup après, les clients sont plus corrects car ils savent que la police est derrière s’il y a le moindre problème.  C’est quand même autre chose que la France où les jeunes des quartiers viennent dès 22 heures nous cracher dessus ou nous insulter dans la rue parce qu’ils savent que nous ne sommes pas protégées !

Planet : Craignez-vous que le rapport parlementaire finisse par aboutir à une loi ?Karen : Oui, j’ai malheureusement bien peur qu’il aboutisse. La dernière nous avons eu droit à une alerte mais cette fois-ci le risque est bien réel. Si le sujet est revenu au goût du jour, ce n’est pas pour rien. Cela fait plus de 2 000 ans que les prostituées existent et qu’on les persécute, mais malgré tout elles sont toujours là. Nous sommes déterminées. Si un jour nous devons arrêter, ce ne sera pas parce qu’on nous l’aura imposé mais parce qu’on l’aura décidé".